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La mutation indispensable pour sauver l'agriculture guadeloupéenne



Décembre 2004

La mutation indispensable pour sauver l'agriculture guadeloupéenne : une urgence sanitaire et sociale. Un exemple transposable à d'autres régions de l'Outre-mer.
Agroforesterie à Marie-Galante Par le Dr Henry Joseph interviewé par Guy Roulier.

Cette nouvelle rubrique de naturemania.com donne la parole aux acteurs de l'éco-développement durable. Dans cette première interview, Guy Roulier donne la parole au Dr Henry Joseph, pharmacien et Docteur en pharmacognosie et spécialisé en phyto-pharmacognosie (science traitant de la connaissance des principes actifs des plantes). Son combat pour la santé passe par la réhabilitation d'une alimentation équilibrée, la réorientation de l'agriculture et la promotion d'une médecine avant tout préventive, utilisant largement les plantes locales dont l'efficacité est scientifiquement prouvée. Président de l'Association pour la promotion et le développement des plantes médicinales et aromatiques de Guadeloupe (Aplamedarom), il se bat au quotidien pour la revalorisation des aliments locaux et la défense de l'environnement.

Guy Roulier : Dr Henry Joseph, nous vous connaissons déjà pour votre combat en faveur de la reconnaissance des plantes médicinales d'Outre-mer et leur officialisation dans la pharmacopée. Aujourd'hui, vous nous alertez sur les graves problèmes sanitaires et alimentaires que connaît la Guadeloupe. Pourquoi cette urgence ?

Dr Henry Joseph : La Guadeloupe vit, depuis un mois, sous perfusion, avec une grève des dockers qui surtout, vide de jour en jour l'ensemble des rayons alimentaires des supermarchés, car 80 % de notre alimentation est importée et aucune politique d'autosuffisance alimentaire n'a été mise en œuvre.

GR : Mais vous avez une agriculture ! N'est-elle pas destinée avant tout à nourrir la population ?

H.J. : Hélas non ! Notre agriculture se meurt à petit feu, si aucune mesure sérieuse n'est envisagée, notre département va être plongé dans les deux ans qui viennent dans une situation sociale incontrôlable et sans précédant dans notre histoire. En effet, successivement la banane puis la canne, deux monocultures de l'île, ne seront plus subventionnées avec la libéralisation des marchés. Ce seront plus de vingt mille agriculteurs jetés à la rue et sans avenir, qu'il faudra maîtriser, et qui seront accompagnés de leurs enfants de plus en plus diplômés et de plus en plus au chômage.

GR : Après ce constat, que proposez-vous pour améliorer la situation ?

H.J. : Pour enrayer cette crise qui a déjà commencé, mais pas encore explosé, il faut que soient prises des mesures urgentes en attendant la mise en place une véritable politique agricole durable. Pour y parvenir, il est fondamental de concevoir tout projet de développement de notre archipel dans un cadre de développement durable et de respect de notre environnement où une agriculture non-intensive et de forte valeur ajoutée doit avoir une place prépondérante. Quand toutes les initiatives éphémères de développement basées sur les matières premières importées disparaîtront l'une après l'autre, il nous restera toujours 3 200 industries naturelles que constituent les espèces de plantes régionales qui tirent leur énergie du soleil et qui nous fourniront de façon durable et inépuisable leur matière première issue du sol, de l'air et de l'eau. Parmi ces 3 200 "usines" silencieuses et non polluantes, 625 sont spécialisées dans la fabrication de substances de base pour les médicaments et les cosmétiques et 220 dans l'agroalimentaire. C'est sur ces usines végétales propres, et seulement sur elles, que nous devons fonder tous nos projets de développement, et là seulement nous pourrons parler de développement durable.

GR : Utiliser le potentiel naturel actuel pour satisfaire nos besoins sans hypothéquer ceux des générations futures constitue la base du développement durable, le seul et véritable avenir de la planète et des hommes. Une mutation agricole dans un tel contexte nécessite une sérieuse remise en question des pratiques d'agriculture intensive. Comment la Guadeloupe peut-elle prendre ce tournant vital pour la qualité de vie de ses habitants, pour ne pas dire de leur survie ?

H.J. : Pour y parvenir, nous devons préparer notre mutation agricole, qui doit tenir compte de plusieurs constats. Nous disposons de moins en moins de terres saines pour pouvoir nous orienter vers une agriculture 100 % biologique, ces terres saines se trouvent :
- Soit dans des zones protégées comme le Parc National de Guadeloupe, d'une superficie de 9 000 hectares, classé patrimoine de l'humanité depuis 1994 par l'Unesco, zone de réserve de la biosphère mondiale que nous devons continuer à préserver et où nous ne pouvons plus cultiver.
- Soit sur des sols canniers où les insecticides organochlorés cancérigènes n'ont pas été utilisés, et qui font aujourd'hui l'objet de spéculations financières par des promoteurs immobiliers aussi bien à Marie Galante qu'en Grande-Terre.

GR : Et les terres à bananes ?

H.J. : La totalité des terres à bananes allant de Goyave jusqu'à Vieux-Habitants, soit presque toutes les terres cultivables de la Basse Terre, contiennent des taux d'organochlorés (chlordécone) de 3 à 15 mg par kilo de terre alors que le seuil toléré est égal à 0,01 mg/kg maximum, soit 290 à 1 500 fois plus que les doses tolérées. Et, beaucoup plus grave, avec une rémanence de ces insecticides dans les sols de plus de 70 ans, ce qui veut dire que nous les aurons encore jusqu'en l'an 2074. Une responsabilité de l'Etat est engagée, car ces insecticides étaient interdits depuis plus de dix ans en France métropolitaine et des mesures dérogatoires pour leur utilisation ont malgré tout été accordés pour la Guadeloupe et la Martinique, allongeant non seulement la durée de rémanence dans le sol mais surtout en continuant à polluer la nappe phréatique empoisonnant ainsi nos eaux. Ce qui a conduit à la fermeture de certains captages d'eau potable, notamment à Trois Rivières. Nous assistons aussi, sans réagir, à un désastre sanitaire sans précédent, que ce soit en terme d'obésité (16 % des enfants guadeloupéens sont obèses en consommant des aliments importés et trop raffinés et pas suffisamment d'aliments locaux), mais aussi de plus en plus en terme de diabète (6 % de la population adulte), de maladies cardiovasculaires ou des cancers et les scientifiques sont tous unanimes pour confirmer la cause est essentiellement : notre malbouffe. Face à ces constats, nous devons réagir afin de penser et réussir ensemble cette mutation agricole. A mon avis, elle doit passer par une information et une formation de la population.

GR : Pour passer de la théorie à la pratique, quelles pistes proposez-vous ?

H.J. : Des moyens importants doivent être mis en œuvre et notamment la création urgente d'un laboratoire ou la fourniture d'appareils d'analyse spécialisés dans la recherche des organochlorés dans nos sols. Ceci permettra de réaliser à court terme une véritable cartographie de l'archipel sur la toxicité réelle de nos terres. A long terme, ce même laboratoire servira d'unité de contrôle des aliments locaux afin d'assurer une traçabilité de la production agricole.

GR : Ainsi vous pourrez contrôler la filière du sol à la table et rassurer la population guadeloupéenne sur la qualité des produits du terroir !

H.J. : Exactement. C'est le seul et unique moyen de redonner confiance à la population guadeloupéenne pour retrouver son marché local, face à une désinformation de la presse lui faisant croire que tous ces fruits et légumes sont empoisonnés. On peut d'ores et déjà penser rapidement dans le cadre de cette mutation agricole et dans une perspective visant à assurer l'autosuffisance alimentaire de l'archipel, à réaliser cette cartographie des cultures en se basant non pas sur la notion seulement de culture biologique mais surtout sur celle de la notion de principe de précaution. On commencera tout d'abord par une phase d'information de la population, en restant transparent et en révélant l'exacte réalité : il faudra dire que les organochlorés ont été utilisés dans les terres de banane pour les traiter contre les charançons et que ces insecticides sont dits non systémiques, c'est-à-dire contenant des substances qui restent dans le sol mais ne grimpent pas dans la sève brute de la plante. De ce fait, tout produit agricole qui ne touche pas le sol sera considéré comme sain. Pour preuve, la France importe de Guadeloupe des bananes saines, de surcroît consommées par des métropolitains en raison de l'absence de toxicité, et dans le cas contraire on interdirait leur exportation.

GR : Oui bien sûr, mais on est quand même très éloigné de l'agrobiologie ! Mais il est question de reconvertir en Guadeloupe de grandes surfaces de terres à bananes de l'agriculture intensive en agrobio ! C'est une bonne nouvelle pour la santé des populations ! Dans l'attente de cette reconversion, essentielle pour dépolluer les terres des îles et préserver les nappes phréatiques et la mer, les terres agricoles ayant subi des traitements chimiques sont donc capables de produire des fruits sans résidus chimiques ! C'est un scoop ! Pouvez-vous nous donner quelques exemples de fruits et légumes qui pourraient ainsi être cultivés et récoltés sans danger pour le consommateur sur des terres en reconversion ?

H.J. : Dans cette nouvelle cartographie, les terres de la Basse Terre seraient réservées aux cultures des fruits et légumes récoltés hors du sol comme les cristophines, les haricots, les aubergines, les oranges, les bananes, les papayes, etc. Et les terres (sols canniers) de Marie-Galante, Grande Terre et Nord Basse Terre devraient être réservées à la culture de produits qui restent dans le sol comme les ignames, la patate douce, les malangas, les madères, les cives, la dictame, etc. Ainsi en respectant cette notion de principe de précaution, principe qui en redonnant confiance à la population vis-à-vis des produits du terroir, par le signalement de leur provenance et les données de traçabilité, on devrait permettre de croire en notre agriculture et surtout contribuer à la redynamiser.

GR : Tout cela paraît tellement logique qu'on peut s'étonner que la situation ait pu se dégrader à ce point. Quel est selon vous le rôle que devraient occuper les scientifiques, notamment pour informer de façon objective et pédagogique la population et en particulier les enfants ?

H.J. : Le premier point étant réalisé, les scientifiques doivent tout mettre en œuvre pour éclairer la population afin de leur expliquer que consommer local permettra de combattre les désastres sanitaires que connaît actuellement l'île sur le plan nutritionnel et ils devront surtout faire tomber tous les tabous alimentaires sans fondement.

GR : Pouvez-vous nous donner un exemple parlant ?

H.J. : Par exemple la Guadeloupe importe près de 5 600 tonnes de pommes de terre fraîches pour une valeur de 1,8 million d'euros ! Cet argent aurait pu être injecté dans notre agriculture pour la production de patate douce en raison du fait que la pomme de terre, avec un index glycémique (1) de 88, génère du diabète et fait grossir. Obésité et diabète constituent deux fléaux guadeloupéens contre lesquels nous devons tout mettre en œuvre pour les combattre. La patate douce, avec un index glycémique de 50, permet de se protéger contre ces deux fléaux, tandis que l'excédent de production de patate douce pourrait être exporté vers la métropole, conformément à la valeur nutritionnelle de ce produit telle que nous le développons dans l'article paru dans le journal Science et Avenir de novembre 2004. Ceci permettrait d'apporter des solutions par exemple aux agriculteurs de Marie-Galante afin de sauver le peu de terres non polluées et mécanisables qu'il leur reste. Ce serait une réponse constructive alimentairement et socialement parlant face à des promoteurs immobiliers qui ont préféré privilégier la culture du gazon d'un golf de 200 hectares. Ce projet qui semble heureusement aujourd'hui avorté a entraîné le mécontentement de l'ensemble de la population guadeloupéenne (voir articles récents sur la "Guerre du Golf" à Marie-Galante dans "France Antilles" et "Sept Magazine").

GR : Il y a en effet plus utile pour la population en matière de développement durable ! Quels sont vos plans à long terme ?

H.J. : Le premier et deuxième points étant réalisés, ceci prépare l'agriculture guadeloupéenne à entrer dans une nouvelle ère, celle de la transformation des agro-ressources du terroir. Ce seront des produits de fortes valeurs ajoutées dans le domaine non seulement agroalimentaire mais aussi dans le domaine de revalorisation de la filière plantes médicinales et aromatiques pour la fabrication de phytomédicaments et de phytocosmétiques. Cette mutation agricole permettra et aura l'avantage de résoudre non seulement le problème des agriculteurs mais aussi celui de leurs enfants.

GR : Comment ?

H.J. : Tout simplement en créant de nouveaux emplois pour cette jeunesse guadeloupéenne, sans avenir, de plus en plus diplômée, en fixant comme objectif la revalorisation des produits du terroir, en utilisant une technologie française de pointe dont ils auront la maîtrise par leurs compétences techniques en raison de leurs études de plus en plus longues, tout en apportant de la valeur ajoutée, parce que des mesures préventives les auraient préparées à cette mutation. Nous pourrons alors parler de pérennisation de notre agriculture tout simplement car nous l'aurons adaptée à notre temps. La dictame, plante remarquable déjà connue des Awaraks (premiers habitants de la Guadeloupe que rencontra Christophe Colomb) constitue un illustre exemple de réussite de ce troisième millénaire pour notre agriculture.

GR. : Nous noterons que la reconversion en agrobio des terres à bananes polluées par des années de traitements chimiques est en cours et nous ne pouvons que nous en réjouir, car elles étaient vouées à l'abandon ou destinées au bétonnage. La dépollution est une priorité sanitaire dans les îles, encore plus aiguë que sur le continent. En attendant, ces terres auront été sauvées et les populations pourront enfin produire une agriculture vivrière auto-suffisante. Nous vous tiendrons informés des grands projets d'éco-développement durable en cours et des reconversions en agro-bio dans les zones ultra-périphériques (Outre-mer). Merci au Dr.Henry Joseph pour cet éclairage objectif et ce message rempli d'espoir et à très bientôt pour une prochaine chronique sur naturemania.com

1. Index glycémique : intensité de la production d'insuline par le pancréas après ingestion d'un aliment glucidique (sucré).

Contact : Mail : h.joseph@wanadoo.fr

SITES RECOMMANDES
www.mediaterre.org
www.brodhag.org
www.fnh.org (Fondation Nicolas Hulot).

DECOUVRIR LA GUADELOUPE
www.outre-mer.gouv.fr

DEVELOPPEMENT DURABLE
Ministère de l'Ecologie et du développement durable
www.environnement.gouv.fr

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