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Réhabiliter la pharmacopée locale
COMBATS SCIENTIFIQUE ET JURIDIQUE POUR LA RECONNAISSANCE
DES PLANTES FRANÇAISES D'OUTRE-MER
Du 22 au 25 octobre 2001 se tenait à Gosier, en Guadeloupe, le deuxième colloque international sur les plantes aromatiques et médicinales des départements d'Outre-mer. Voici maintenant presque 20 ans qu'une équipe de chercheurs internationaux travaille en vue de prouver l'efficacité et l'innocuité des plantes des Caraïbes, ce travail débouchant en 1999 sur l'édition d'un premier ouvrage intitulé " Pharmacopée caribéenne ". Paradoxalement, et de façon plus que surprenante, les pharmaciens des départements d'Outre-mer ne peuvent pas vendre leurs propres plantes, faisant partie de leur patrimoine culturel, mais se voient imposer la distribution exclusive des plantes métropolitaines, alors que ces dernières ne font pas du tout partie de leur environnement et que la population n'a même jamais vu un champ de lavande, de bruyère, de camomille ou des arbres tels que le tilleul !
Pourquoi les plantes domiennes sont-elles interdites de vente ?
Tout simplement parce que les plantes des DOM (et vous avez bien lu) ne sont pas inscrites à la pharmacopée française (recueil de descriptions de plantes) ! C'est pourquoi, dès 1998, des chercheurs domiens, dont le Dr Henry Joseph, munis de la version espagnole de la " Pharmacopée caribéenne ", décide de procéder à des demandes d'insertions de plantes domiennes dans la pharmacopée française, auprès de l'Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, ex Agence du médicament) organisme compétent pour ce type de démarches. Quatre ans plus tard, aucune plante domienne n'est insérée dans la pharmacopée française. Lors de ce colloque d'octobre 2001 néanmoins, l'Afssaps représentée par un de ses membres, annonce l'insertion de deux plantes dans la pharmacopée française. Malgré une lettre recommandée du 12 janvier 2002 adressée par l'Aplamedarom (Association pour la promotion des plantes aromatiques et médicinales de la Guadeloupe) à l'Afssaps, aucune insertion de plante n'a eu lieu.
C'est dans ce cadre que le Docteur Henry Joseph (Docteur en pharmacie, Docteur en pharmacognosie et enseignant en faculté), président de l'Association pour la promotion des plantes médicinales et aromatiques de Guadeloupe, a demandé à Maître Isabelle Robard de bien vouloir faire une intervention juridique durant ce deuxième colloque afin de trouver une solution à l'impasse juridique dans laquelle se trouvent les plantes domiennes et la population caribéenne. En effet, les autochtones sont privés d'un accès à leurs propres plantes, pourtant très efficaces, plantes qui pourraient être également très utiles à la population française dans son ensemble.
Isabelle Robard, dans le cadre de la loi Guigou " Droits des malades et qualité du système de santé ", a donc proposé le dépôt d'un amendement pour légaliser les plantes domiennes et procédé ensuite à tout le suivi du travail parlementaire et ministériel.
Cette situation remonte en fait à la période de l'esclavage, rétabli en 1802 et, qui interdisait aux nègres et esclaves d'utiliser les plantes, les colons craignant d'être empoisonnés.
200 ans plus tard, en 2002, la population domienne, les patients domiens doivent pouvoir accéder librement aux plantes de cette pharmacopée et ainsi retrouver leurs culture et dignité.
A préciser que cette pharmacopée caribéenne, contrairement à la pharmacopée française officielle, présente des travaux très étayés sur la toxicité, permettant ainsi de respecter le fameux principe de précaution.
La pharmacopée française ne présente aucune étude quant à la toxicité des plantes qu'elle insère dans ses monographies ! Mme la présidente de région et sénateur Lucette Michaux-Chevry, sensibilisée, s'est engagée de façon effective à soutenir ces actions et a concrètement déposé l'amendement au Sénat qui a été présenté devant 10 sénateurs sur tout l'hémicycle à minuit moins vingt le 6 février 2002.
Tandis que le ministre Bernard Kouchner s'est opposé par un avis défavorable du gouvernement, de façon incompréhensible et non justifiée au vote de cet amendement en février 2002, un soutien de la commission des affaires sociale du Sénat est intervenu mais insuffisant face à un hémicycle désert, pour permettre le vote.
Rebondissant sur cette situation, un travail est actuellement mené en vue d'intégrer cette réforme au Code de la santé publique directement dans la loi de programme des DOM par initiative gouvernementale. De même, le directeur général de l'Afssaps semble en l'état actuel des choses accueillir favorablement cette insertion sous réserve de constitution de dossiers présentés selon une forme précise.
En l'état actuel du droit et des faits, une discrimination existe entre la population domienne et métropolitaine dans la mesure où il est imposé à la population des DOM uniquement l'usage des plantes métropolitaines inscrites à la pharmacopée française, alors que ces plantes métropolitaines ne font pas partie tant de leur environnement que de leur culture et, plus grave, ces plantes métropolitaines sont parfois incapables d'apporter des réponses à des problèmes de santé spécifiques à ces régions (maladies orphelines) et parfois graves (drépanocytose, paludisme, dengue...) et moins graves mais tout aussi préjudiciables pour la santé des citoyens domiens (dermatoses, mycoses...). Aussi, pour prendre en compte cette réalité domienne, il est fondamental de légaliser la pharmacopée caribéenne.
Bien entendu, des recherches scientifiques concernant ces maladies orphelines ont prouvé l'efficacité et l'innocuité de ces plantes.
En outre, une légalisation de la pharmacopée domienne permettrait une diversification de l'agriculture, de développer une filière de la plante aromatique et médicinale (de la culture de la plante au produit fini) dans trois secteurs : alimentaire, parfumerie et pharmaceutique. Il ne sera pas anodin en effet de relever que la balance commerciale de la France est déficitaire en matière de plantes médicinales et que, comble de l'ironie, la France importe de l'Indonésie ou de Madagascar, par exemple, des plantes typiquement tropicales et qui peuvent être cultivées dans les DOM, sachant que les taux de chômage dans les DOM sont très élevés.
Par ailleurs, imaginons un instant qu'un conflit international éclate, sachant que la population d'Outre-mer est placée en totale situation de dépendance à l'égard de la métropole en matière d'approvisionnement de médicaments, qu'adviendrait-il en cas de blocage des transports sur l'Atlantique ? Imaginons qu'un tel conflit se déroule actuellement, qu'adviendrait-il de ces populations réduites à la plus totale impuissance devant des plantes capables de les guérir mais dont ils ignorent les propriétés, ce qui n'était pas le cas en 1914-18 et en 1939-45, où le savoir ancestral était encore présent dans les esprits ?
L'article 73 de la Constitution permet justement d'adapter la réglementation pour tenir compte des spécificités d'Outre-mer. Toutes les conditions juridiques, économiques et scientifiques sont donc réunies pour qu'une telle réforme attire l'attention du gouvernement et des parlementaires qui désormais ont seuls le pouvoir et la responsabilité de décider sur un droit d'accès des malades français d'Outre-mer à leurs plantes médicinales locales et donc, sur un accès effectif à des soins adaptés (Déclaration sur la Promotion des droits des patients en Europe ; la Charte de Ljubljana adoptée lors de la Conférence de l'OMS) afin de permettre à cette population d'accéder au " meilleur état de santé possible qu'elle soit capable d'atteindre " (OMS). Ceci d'autant plus que le gouvernement Raffarin met en place une réforme du fonctionnement des institutions passant par une décentralisation accrue et le transfert de compétence vers les départements d'Outre-mer, notamment dans le domaine de la santé.
Henry Joseph, Docteur en pharmacie, Docteur en pharmacognosie, président de l'Association pour la promotion des plantes aromatiques et médicinales et Me Isabelle Robard, Docteur en droit, DESS Droit de la Santé, DEA Droit public interne. |